
La fiscalité locale fait beaucoup parler d’elle car chacun perçoit son côté injuste : elle ne dépend pas des revenus du contribuable qui doit la payer et elle dépend fortement des valeurs locatives du bien habité. Selon la commune ou le quartier où l’on habite, ces valeurs locatives varient de manière significative, et ce d’autant plus qu’elles n’ont pas été revalorisées depuis les années 1970 ce qui constitue en soi une aberration tant les quartiers ont évolué depuis 45 ans. Par conséquent, la fiscalité locale concentre de nombreux biais, qui conduisent à une forme d’iniquité de traitement entre les Français.
Pour contourner cette situation, le Gouvernement a proposé de supprimer la taxe d’habitation pour 80% des Français : c’est ce que la majorité a voté dans le projet de loi de finances pour 2018. Cette suppression a l’apparence de la « bonne idée ». « Puisque cela comporte des biais injustes, on supprime », balayant d’un trait un point pourtant essentiel : le lien avec le territoire et les élus qui l’administrent. Payer une taxe d’habitation, c’est contribuer de manière directe à la vie de la commune dans laquelle on habite : c’est aussi pouvoir choisir parmi les différentes options en matière d’imposition proposées par les candidats aux élections municipales.
Se rendant sans doute compte que sa mesure « simple en apparence » de suppression de la taxe d’habitation pour 80% des Français virait au casse-tête, le Gouvernement a finalement annoncé que la taxe d’habitation serait supprimée pour tous les Français (et pas seulement les 80% initialement prévus et annoncés pendant la campagne présidentielle). Cette annonce créé une impasse budgétaire de l’ordre de 10 milliards d’euros que le Gouvernement ne sait pas combler. Aussi, pour trouver des idées, il a mandaté deux experts pour plancher sur la question. Dans la lettre de mission qu’il leur a adressée le 12 octobre dernier, le Premier Ministre leur écrit : « il vous est demandé d’envisager un scénario consistant à supprimer intégralement la taxe d’habitation à terme, et de compenser cette réforme via une révision d’ensemble de la fiscalité locale ».
Vu l’ambition affichée dans cette lettre de mission, nous étions impatients de découvrir quelles seraient les propositions de solutions miracles pour compenser la suppression de la taxe d’habitation.
- Le rapport fait-il des propositions pour réformer en profondeur la fiscalité locale ? la réponse est NON. Le rapport acte la suppression de la taxe d’habitation pour tous les Français, et maintient tous les autres impôts locaux existants. Par conséquent, il ne traite pas d’une « révision d’ensemble de la fiscalité locale » comme le lui demandait pourtant le Premier Ministre.
- Le rapport trouve-t-il les 10 milliards d’euros manquants pour pouvoir rendre effective la suppression totale de la taxe d’habitation sans dégrader les finances publiques de la France du fait de moindre recettes ? Là aussi, la réponse est NON. Le rapport avance en réalité 3 pistes, mais inabouties :
- il propose de réduire de 10 milliards d’euros les dépenses, tout en se gardant bien de préciser quelles dépenses seraient réduites. Mais réduire les dépenses, cela revient concrètement à faire payer de manière indirecte les Français : si cette réduction des dépenses se traduit par exemple par une nouvelle baisse des Aides Personnalisées au Logement (APL), cela conduit à priver certains Français de ressources, donc concrètement à les faire payer. Le problème est qu’effectivement ce ne sont pas les mêmes qui paient : quand on baisse les APL, on ampute le pouvoir d’achat des 6,5 millions de Français qui ont les revenus les moins élevés. En quelque sorte, on demande aux Français qui ont peu de ressources de payer pour que les 500 000 foyers qui ont plus de 6700€ par mois n’aient plus à payer la taxe d’habitation et puissent ainsi bénéficier d’une économie de 1445€ en moyenne par an. Ceci est évidemment très injuste.
- il propose de faire payer par les départements le manque à recevoir pour les communes lié à la suppression totale de la taxe d’habitation. Cette solution consiste en réalité à « déshabiller Pierre pour habiller Paul ». Le rapport propose ainsi que la part de la taxe foncière sur les propriétés bâties qui revient aux départements soit transférée aux communes et aux communautés de communes pour compenser la suppression de la taxe d’habitation. Les départements se verraient remboursés par un impôt national… à trouver.
- Faire payer par l’État le le manque à recevoir pour les communes lié à la suppression totale de la taxe d’habitation. Le rapport propose que l’État affecte une partie de la TVA ou de l’impôt sur le revenu aux communes, mais sans préciser si l’État peut se passer de cette partie d’impôt pour boucler son budget (autrement dit sans dire si l’Etat augmentera d’une manière ou d’une autre les taux des impôts existants).
- Le rapport propose-t-il des ajustements en matière de fiscalité locale ? La réponse est OUI. Il y a plusieurs propositions très techniques, qui concernent surtout les exonérations de fiscalité locale.
Au final, le rapport ne fait pas de proposition qui permettrait à la fiscalité locale de conserver son lien local avec l’administré, tout en intégrant de manière plus juste les revenus de ceux qui la paient. Il est exact que l’équation visant à lier un territoire et les revenus des contribuables qui y vivent est difficile à résoudre. Mais il est aussi exact qu’en la matière, le rapport ne formule aucune proposition, et se contente d’acter les mesures du gouvernement. Ainsi :
- il acte l’affaiblissement de l’autonomie fiscale des collectivités locales. En effet, les communes perdent un impôt (la taxe d’habitation) sur lequel elles avaient le pouvoir de fixer le taux, sans que cela se traduise mécaniquement par plus de pouvoir d’achat pour les Français qui ont les revenus les moins élevés (il est à craindre que ces derniers perdent des allocations qu’ils perçoivent aujourd’hui, au nom de la baisse des dépenses publiques qui sera nécessaire pour financer la baisse de la taxe d’habitation)
- il acte le fait que les collectivités n’ont aucune marge de manœuvre sur la compensation qu’elles vont recevoir. Elles sont victimes d’une recentralisation qui ne dit pas son nom : aujourd’hui, 1/5ème de leurs ressources dépendent du bon vouloir de l’État ; demain, ce sera un tiers ! Si un gouvernement décidait de supprimer cette compensation, il pourrait le faire. Par exemple, l’actuel gouvernement n’a pas inscrit dans la trajectoire des finances publiques la compensation de la suppression totale de la taxe d’habitation, ce qui fait douter de l’effectivité de cette compensation.
- il acte une accentuation des inégalités territoriales. La compensation financière accordée aux communes et communautés de communes, telle que proposée par le rapport, reposerait sur une compensation de l’existant, reproduisant les inégalités actuelles de taux et de base. Le système injuste est ainsi gravé dans le marbre.
- il acte la perte du lien financier entre les communes et leurs administrés, ce qui est une première dans notre histoire. Ainsi un contribuable locataire ne paiera plus aucun impôt pour sa commune, alors qu’il bénéficiera des infrastructures et des services publics locaux (cantine, piscine, crèche, bus…). Seuls les propriétaires continueront à payer un impôt local, qui risque dès lors d’augmenter.
Autant dire que le rapport Richard Bur nous a laissés sur notre faim…